Afrique| Santé : Il y a 20 ans les pays africains devraient allouer chacun 15% de son budget national à la santé, et après ?
@Santé et bien être. Le Ouagalais

Vingt ans après la déclaration d’Abuja, la fin progressive de l’Usaid et le recul de l’aide américaine imposent à l’Afrique de financer elle-même sa santé.
Il y a plus de 20 ans, en 2001, les dirigeants africains se sont réunis à Abuja et ont pris l’engagement audacieux d’allouer au moins 15 % de leurs budgets nationaux à la santé. La déclaration d’Abuja fut une affirmation de détermination à l’échelle du continent, une reconnaissance qu’aucun pays ne peut atteindre le développement sans investir dans la santé de sa population.
Si l’élan initial a été encourageant, seuls deux pays respectent encore aujourd’hui cet objectif, tandis que la majorité d’entre eux consacrent moins de 10 % de leurs budgets à la santé, malgré leurs grandes populations et le poids croissant de leurs besoins. La moyenne en Afrique subsaharienne n’atteint que 7,2 %.
Ce sous-financement a laissé les systèmes de santé vulnérables et réactifs, limitant les progrès vers la couverture sanitaire universelle, fragilisant la confiance dans les services publics et creusant les inégalités. Les chocs mondiaux comme le Covid-19 et les urgences climatiques n’ont fait qu’élargir ces écarts, obligeant trop de pays à dépendre des dépenses d’urgence ou d’aide extérieures.
Parallèlement, l’Aide publique au développement (APD) pour la santé est en déclin, forçant les gouvernements à faire plus avec moins. Il est temps de passer de la dépendance à l’aide vers des investissements durables, portés par un leadership national et une responsabilité mondiale partagée avec des priorités fondées sur des données probantes.
Partenariats innovants et co-investissements
Nous avons besoin de partenariats gagnant-gagnant fondés sur l’appropriation africaine et la mobilisation de ressources domestiques. Des instruments comme les obligations de la diaspora et les fonds de co‑investissement public‑privé peuvent canaliser des ressources durables vers les systèmes de santé. Il est aussi essentiel de mobiliser le secteur privé lucratif à travers la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
L’adoption des stratégies de financement inscrites dans le New Public Health Order du CDC Afrique offre aux pays une alternative plus souveraine et durable à l’aide traditionnelle. Ces mécanismes permettent de mobiliser du capital national et régional, de renforcer les institutions et d’investir dans la santé avec plus de prévisibilité et de planification. Par exemple, l’obligation de la diaspora éthiopienne a permis de lever des fonds pour étendre des services essentiels, démontrant la puissance de l’investissement local.
La santé n’est pas locale. Les épidémies, la résistance antimicrobienne et les impacts sanitaires du changement climatique ne s’arrêtent pas aux frontières. Les gouvernements africains doivent être aux commandes, mais la communauté internationale a elle aussi un intérêt direct à la réussite de ces efforts. Cette solidarité doit aussi s’exprimer au niveau régional en renforçant les missions du CDC Afrique.
Décisions fondées sur les données et les preuves
Le financement est souvent influencé par des priorités héritées ou des habitudes institutionnelles plutôt que par les résultats. La résilience dépend d’une allocation des ressources aux interventions qui répondent réellement aux besoins des populations. Cela exige des investissements dans la surveillance, le suivi des résultats et la transparence des dépenses. L’institutionnalisation des comptes nationaux de la santé est indispensable pour mieux suivre l’orientation des dépenses et mesurer leur efficacité. De même, la recherche doit être mieux financée et développée, alors qu’elle représente encore moins de 1 % du PIB en Afrique.
Les ministères devraient collaborer avec des analystes indépendants et la société civile pour évaluer ce qui fonctionne et orienter les financements. L’assurance communautaire du Rwanda, largement financée par des ressources domestiques, illustre comment des modèles guidés par les données peuvent étendre la couverture.
Alors que le paysage sanitaire mondial évolue, les pays africains font face à un écart croissant entre les ressources nécessaires et celles disponibles. Au-delà d’un nouvel engagement envers la cible de 15 %, ils doivent s’unir pour surmonter les obstacles et garantir que les budgets de santé soient durablement financés et protégés, que leur exécution soit suivie en temps réel et que les fonds soient dirigés vers des programmes à fort impact.
Au-delà du financement, des choix stratégiques souverains
Au-delà des questions budgétaires, l’Afrique doit affirmer des choix stratégiques souverains. Cela signifie investir dans des systèmes de santé solides, en particulier les soins de santé primaires. Il faut également valoriser les personnels de santé à tous les niveaux et renforcer leurs capacités. Enfin, aspirer à une véritable souveraineté sanitaire suppose de développer la recherche, la surveillance et la gestion des données, d’améliorer la préparation et la réponse rapide aux épidémies et de promouvoir la production locale de médicaments, de diagnostics et de matériel sanitaire, appuyée par une chaîne d’approvisionnement capable d’atteindre les plus vulnérables.
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Des systèmes de santé faibles coûtent cher, mais des systèmes solides rapportent des dividendes. Les défis sont considérables, mais ils ne sont pas insurmontables. Avec de l’innovation, une responsabilité partagée et des décisions guidées par les données, nous pouvons transformer le financement de la santé en Afrique et progresser vers un avenir plus sûr pour notre continent et pour le monde entier.
Source : Le Point
Le Ouagalais